Faits divers

La dépression d’une policière est bel et bien un accident de travail

le mardi 30 janvier 2018
Modifié à 8 h 24 min le 30 janvier 2018
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

Une policière de Châteauguay a sombré dans la dépression à la suite d’une intervention auprès d’un homme violent. Un tribunal a confirmé qu’il s’agissait d’un accident de travail. Ce que contestait son employeur, la Ville de Châteauguay. L’agente et un collègue se sont rendus à une adresse à la suite d’une plainte de conflit conjugal le 7 juillet 2015. Ils ont été accueillis par un homme agressif, qui ne voulait pas des policiers chez lui. «Je me sentais vulnérable, il était près de nous et il semblait toujours sur le poing de nous frapper. Il avait les poings fermés et il était crispé. Il criait et il sacrait», relate la policière dans une déclaration reproduite dans un jugement daté du 8 janvier du Tribunal administratif du travail. La policière indique qu’elle parlait doucement à l’homme, lui disait qu’elle voulait seulement s’assurer que les gens dans la maison étaient en sécurité, mais il ne voulait rien entendre. «À un moment, il disait qu’on ne pouvait rien faire contre lui, que tout était en règle, qu’il avait des armes dans la maison, mais qu’il avait le droit. Quand il a parlé des armes, je suis devenue encore plus craintive», écrit la policière. La femme de l’homme est sortie pour dire qu’elle allait bien et que les policiers pouvaient partir. Sa mère à elle était effrayée et leur demandait de rester. L’homme est sorti avec un chien. Puis il entrait et sortait de la maison. «Chaque fois qu’il entrait, je me disais qu’il allait chercher une arme. Je ne sais pas ce qu’il allait faire mais je regardais partout, dans les fenêtres, sur les côtés de la maison, j’avais peur qu’il nous tire dessus. Il avait l’air tellement déconnecté, parce que c’était impossible de le raisonner, de lui faire comprendre que notre but était seulement de s’assurer de la sécurité de tout le monde», lit-on dans la déclaration. À un moment donné, la policière s’est demandée si elle «avait vraiment besoin de mettre sa vie en danger pour les autres». Son instinct lui disait de partir. Et elle redoutait une tragédie si elle quittait. Terrifiée «La seule chose que j‘avais en tête, a-t-elle témoigné, c’est un événement que je venais d’entendre aux nouvelles; un père venait de tuer son bébé parce que la femme voulait se séparer. Du début à la fin, j’ai mis beaucoup d’énergie pour cacher ma peur, pour garder mon calme. J’ai l’impression de m’être battue contre mon instinct qui me disait de fuir parce que c’était dangereux. Quand on a finalement décidé de partir, je me sentais déjà coupable de partir. Et j’avais peur d’avoir à revenir un peu plus tard dans la nuit. Juste l’idée d’avoir à revenir pour gérer un drame familial ou pour l’arrêter m’a terrifiée. J’ai fait une crise de panique en partant. J’étais incapable de me contrôler. Je tremblais, je pleurais, j’avais de la misère à respirer. J’ai eu peur, et j’avais peur d’avoir à y retourner. Je n’ai pas pu continuer mon quart, je n’étais plus en état de travailler.» La policière a continué à travailler après l’événement mais elle vivait avec une angoisse constante, dormait 10 à 14 heures par jour. Un médecin lui a diagnostiqué une dépression majeure et a prescrit un arrêt de travail quelque temps après l’événement. Intervention de «routine» La Ville de Châteauguay s’est opposée à l’admissibilité de la travailleuse à des prestations de la CSST maintenant appelée CNESST. Elle a fait valoir qu’il s’agissait d’une intervention «de routine» et que la policière n’avait pas été agressée physiquement. «Être confronté à ce genre d’appel de service est tout à fait normal dans le cadre des fonctions d’un policier», a plaidé la municipalité. Réel danger Le juge administratif Richard Hudon a indiqué être «conscient du fait que le travail normal d’un policier implique qu’il doive intervenir dans une situation comme celle vécue par la travailleuse le 7 juillet 2015». Il a cependant considéré que, dans les faits, la situation était potentiellement dangereuse pour la policière mais aussi les personnes présentes. «La travailleuse a senti que sa sécurité physique était menacée et sa réaction immédiate à la fin de l’intervention indique bien que cette intervention du 7 juillet 2015 revêtait, pour elle, un caractère traumatisant qui n’aurait nécessairement pas été le même pour un autre policier, mais dépasse le domaine de la simple perception», indique-t-il. Il conclut qu’un «événement imprévu et soudain est survenu le 7 juillet 2015», ce qui constitue l’un des éléments de la définition d’accident du travail.