Opinion

Le confort sans l'indifférence

le mercredi 09 septembre 2015
Modifié à 0 h 00 min le 09 septembre 2015
Par Hélène Gingras

hgingras@gravitemedia.com

Voici le billet du 9 septembre de Hélène Gingras.

 Êtes-vous encore en état de choc?

Il y a trois ans, lors de mon séjour au Liban, mon dernier repas entre amis m’est un peu resté en travers de la gorge.

Oui, j’ai dîné ce jour-là, mais on aurait dit que je n’avais plus d’appétit. Malgré l’abondance et le raffinement du brunch concocté par des fermiers locaux. La beauté des lieux. La température idéale.

On m’avait parlé de la vallée de la Bekaa. De ce charmant restaurant perché en haut de la montagne. On avait seulement oublié de me préciser que, chemin faisant, on franchirait un camp de fortune de réfugiés syriens. La misère contrastant avec la richesse du paysage. Et qu’une fois attablés, on entendrait de temps à autre le bruit sourd des bombes. En provenance des montagnes de la Syrie visible au loin.

J’avais de la difficulté à profiter du moment présent. Sans vivre de culpabilité.

Le restaurant si populaire était quasi désert. Par la suite, mes amis n’y sont jamais retournés. Le gouvernement du Canada l’a déconseillé par mesure de sécurité.

Je vous laisse deviner mon état depuis que la photo du jeune Aylan échoué sur une plage en Turquie a fait le tour du monde jeudi. À chaque instant ce week-end, j’ai repensé à la chance que j’ai. D’être née ici. De pouvoir prendre un verre entre amis. De me prélasser sur le divan, à l’air climatisé, parce qu’il y a une vague de chaleur sur le Québec. À écouter une nouvelle télésérie dont j’ai entendu parler.

Au lieu d’avoir dû quitter ma maison en catastrophe. En laissant tout derrière moi. Y compris mes deux chats. Pour échapper à des tirs. À un viol. À la mort. Par un quelconque groupe armé. Parce que mon gouvernement est en guerre depuis des années.

Et de ne plus savoir où aller. Terrassée par la peur. La faim. Prête à l’impossible pour trouver refuge ailleurs. Une terre d’accueil. À payer le gros prix pour une traversée risquée en mer. À marcher 200 km avec les miens.

Depuis, la même ritournelle qu’il y a trois ans s’est remise à jouer en boucle dans ma tête: «Qu’est-ce que je peux faire?»

Enfin, les collègues des quotidiens me fournissent des réponses: le parrainage privé, mettre de la pression sur le gouvernement, réclamer des engagements des partis politiques, faire des dons à des organismes, etc.

J’ai ainsi ma petite idée pour que les choses changent. Enfin.