Opinion
COVID-19

Lettre ouverte d’un entrepreneur québécois

le mardi 14 avril 2020
Modifié à 8 h 29 min le 14 avril 2020
Je me permets d’écrire pour mettre en lumière une situation que les entrepreneurs et les propriétaires de PME locales vivent à travers la crise du COVID-19, et des conséquences de certaines incohérences auxquelles nous sommes exposées. Mon entreprise, Lanctôt couvre-sol et design, opère comme bon nombre de PME dans le commerce de détail. Notre clientèle est composée de consommateurs, d’entrepreneurs et de bâtisseurs de notre région. Notre entreprise familiale est en affaires depuis bientôt 137 ans et nous avons bien l’intention d’en assurer la pérennité, de continuer d’embaucher près de 100 personnes et de transmettre notre passion pour les matières, les relations et la vente à encore beaucoup de monde, davantage même qu’à l’époque du magasin général. Mes partenaires d’affaires et moi avons pris la décision d’obtempérer et de collaborer avec les initiatives et demandes du gouvernement Legault depuis le jour 1 en fermant notre commerce. La gestion de crise déployée par le gouvernement est absolument exemplaire et nous en sommes reconnaissants comme citoyens et comme êtres humains, car la protection de tous n’a pas été négligée au profit de la peur de prendre des décisions radicales. Comme marchand de matériaux de construction spécialisé en couvre-planchers, l’incohérence à laquelle je fais face commence ici; Dans un contexte habituel, tous les jours, nous accueillons des dizaines, voire des centaines de personnes dans nos magasins. Ces clients, avec l’aide de nos services, commandent des produits de manufacturiers ou de distributeurs locaux. Avec la demande de fermeture des commerces jugés non-essentiels, nous avons dû fermer nos établissements. Certains de mes principaux concurrents, les grandes surfaces, n’ont pas dû fermer leurs portes, ni même adapter leur offre de produits et services sous réserve qu’ils seraient porte-étendards des services essentiels. Je cible dans ce constat des quincailleries, des Rona, Home Depot, Canac, BMR, <@Ri>etc.<@$p> Ce que j’observe, depuis quelques semaines, ce sont des Québécois qui se désennuient, qui entreprennent des rénovations, de la décoration, de la peinture et des petits projets pour passer le temps. Je peux comprendre qu’on veuille meubler son temps. De mon côté, je meuble le mien en répondant à des courriels et des téléphones de clients qui me demandent sans arrêt la permission de prendre possession de matériel leur appartenant dans nos entrepôts ou d’en acheter. Lorsque je dois poliment refuser en leur rappelant nos obligations, je reçois des annulations, des «vous comprendrez M. Lanctôt que mes rénovations vont continuer». Les autres appels, ce sont des annulations, à coup de centaines à travers notre organisation. Ainsi, les ventes qui devaient donc être reportées dans le temps et «mises en pause» sont en réalité redirigées vers ces organisations qui peuvent toujours les recevoir. Nos précieux clients initient de cette façon de nouveaux projets chez nos compétiteurs et dans certains cas, annulent leur commande chez nous. Nous devrons donc absorber des dépenses causées par des annulations en plus de perdre d’importants revenus dans un contexte extrêmement éprouvant financièrement. Vous comprendrez aussi que dans notre champ d’activité, ces clients redirigés ne nous visiteront pas pour les prochaines années, décennies et dans certains cas pour la vie. Je dois vous admettre que cela brise le cœur d’un homme de relations, de devoir abandonner sa clientèle aux mains d’entreprises qui font preuve d’opportunisme et qui ne considèrent pas leur responsabilité sociale d’entreprise. J’implore donc le gouvernement d’imposer des règles commerciales plus sévères et plus équitables pour le bien de la santé publique, pour la protection des employés du commerce de détail et pour tous ces commerces de détail non-essentiels qui doivent encaisser le coût de cette injustice concurrentielle. Il existe une solution. Il faut fermer, dans ces magasins dits essentiels, les sections remplies de produits non-essentiels et demander les motifs des consommateurs se présentant dans ces magasins ainsi qu’évaluer leurs réels besoins. Ceux qui ont été choisis pour fournir des services essentiels devraient avoir l’obligation de s’assurer que le service qu’ils rendent est essentiel en questionnant les consommateurs. Ainsi, en mon sens, il serait mal justifié de permettre l’achat d’un ensemble de jardin ou d’un barbecue comme étant une nécessité de base. Je suis confiant que le gouvernement Legault prendra position rapidement sur cet enjeu, beaucoup de québécois et d’entrepreneurs sont probablement du même avis. Le temps file et je ne souhaite pas enterrer avec mes collègues entrepreneurs de belles entreprises, victimes non seulement de la crise du COVID-19, mais surtout de l’inégalité concurrentielle engendrée par cette situation. Ça va bien aller. Marc-Olivier Lanctôt Propriétaire de Lanctôt, couvre-sol et design et directeur marketing et ressources humaines