Opinion

Billet d'humeur : Qui mérite le plus de vivre ?

le mercredi 21 novembre 2018
Modifié à 11 h 39 min le 21 novembre 2018
Par Michel Thibault

mthibault@gravitemedia.com

Le mercredi 15 novembre était la Journée mondiale de la philosophie. Du pelletage de nuage? Avant de répondre, je vous propose de faire un petit test. Une «expérience de pensée» tirée du bouquin Game of Thrones, une métaphysique des meurtres, de Marianne Chaillan. Imaginez-vous dans la peau du conducteur d’un train dont les freins ont lâché. Le convoi file à toute vitesse vers cinq personnes. Vous pouvez dévier le train vers une voie où il n’écrasera qu’une seule personne. Selon vous, est-il moralement acceptable de faire bifurquer le train? Si oui, c’est que, probablement, pour vous, il vaut mieux sauver cinq vies plutôt qu’une seule, indique la philosophe Chaillan. «Votre raisonnement est arithmétique.» En revanche, expose-t-elle, «si vous choisissez de ne pas dévier le train, c’est peut-être que vous considérez qu’il ne vous appartient pas de choisir quelle vie mérite d’être protégée et vous ne voyez pas pourquoi il faudrait sacrifier un homme au motif qu’il serait le seul à être sauvé».
«L’exercice peut sembler bien abstrait. Il représente pourtant un enjeu majeur de notre société.»
Le test comporte un deuxième volet. Le train sans frein avance vers cinq personnes mais, cette fois, pour leur éviter la mort il faut que vous poussiez un gros homme sur les rails, qui bloquera le train. Dévier le train sur un individu et pousser un homme pour sauver cinq personnes, pour vous, est-ce moralement équivalent? Si vous estimez que oui, puisque le résultat est identique dans les deux cas, vous êtes «conséquentialiste» et vous rejoignez Lord Bentham, expose Chaillan. Dans l’autre cas, vous vous rangez dans la maison «déontologique» d’Emmannuel Kant. L’exercice peut sembler bien abstrait. Il représente pourtant un enjeu majeur de notre société : qui mérite le plus de vivre? À l’époque du Titanic, c’était assez simple: les femmes et les enfants d’abord. En 2018, la question se complique. Notamment avec l’arrivée des voitures sans conducteur. Comment programmer ces véhicules à réagir dans l’éventualité où ils se retrouveront à devoir «choisir», par exemple, entre la vie de leurs occupants et celle d’un motocycliste? Pour se faire une tête, les philosophes ont été mis à contribution. Monsieur et madame tout-le-monde peuvent aussi participer à la réflexion. Entre autres, en répondant au questionnaire de la Machine Morale créée par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français. On parle des autos, mais la question est aussi pertinente dans le domaine de la santé. Considérant que les ressources sont limitées, qui mérite le plus d’être sauvé ? Cinq bébés ou un sexagénaire?