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Incursion dans l’univers d'un service de police

le lundi 24 février 2020
Modifié à 16 h 06 min le 24 février 2020
Par Vanessa Picotte

vpicotte@gravitemedia.com

Dans son documentaire Résistance: la police face au mur, le réalisateur Charles Gervais offre une incursion au cœur du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL). D’abord intrigué par «ce chef de police surprenant», le cinéaste a rapidement constaté que la vision de Fady Dagher «axée sur la prévention plutôt que sur la répression» ne fait pas l’unanimité au sein du corps policier. «Fady m’a ouvert complètement les portes du SPAL, explique d’emblée Charles Gervais. Mais même si le chef m’ouvrait les portes, ça ne voulait pas dire que l’institution m’ouvrait les siennes. Il y a évidemment beaucoup de résistance au projet de Fady, donc, il y a eu nécessairement de la résistance à mon projet de film car je mets en lumière cette vision et ça pourrait nuire à l’immobilisme que plusieurs souhaiteraient.»
Celui qui a scénarisé, réalisé et coréalisé plusieurs documentaires et séries pour la télévision, dont Bitch! Une incursion dans la manosphère, a une feuille de route bien garnie. Il avoue toutefois que son dernier film a été «le projet le plus difficile de ma vie». «Il y a eu des moments où je voulais lâcher. C’était insupportable, je n’en pouvais plus, se souvient-il. Il y a beaucoup de gens du SPAL qui ne sont pas en accord avec ce que Fady fait et qui ont tout fait pour essayer de nuire au tournage et faire en sorte que je ne réussisse pas à terminer mon film.» Le réalisateur se rappelle d’ailleurs que plusieurs tournages ont été annulés à la dernière minute, causant de nombreux soucis à toute son équipe. Il a finalement été en mesure de mettre en place une vingtaine de jours de tournage, et ce, sur une période de 18 mois. «Ça ne suffisait pas de parler du projet; nous voulions être au cœur de l’affaire. Mais l’accès nous était barré par plein de gens. Fady essayait de m’ouvrir les portes du mieux qu’il le pouvait, mais il devait diriger sa barque sans faire couler le bateau.» Changer la culture policière Fady Dagher est conscient que son désir de changer la culture policière dérange au sein de son organisation. Dans le documentaire, il avoue avoir été très mal reçu par plusieurs instances lors de son entrée en poste au SPAL. Cela ne l’a pas empêché «d’aller vers ce changement nécessaire».
«La résistance, elle est réelle. Fady Dagher est quelqu’un qui dérange et plusieurs personnes dans le corps policier le trouvent dangereux. C’est quelqu’un qui ne laisse personne indifférent car il veut transformer quelque chose qui ne veut pas être transformé.» – Charles Gervais
Le directeur du SPAL souhaite passer de la culture de «combattant du crime» à celle de «police de concertation», alors qu’à Longueuil, 70% des appels au 911 ne sont pas de nature criminelle. «Il y a de la résistance à différents niveaux devant ce changement, mais je ne l’a voie pas de manière négative, assure Fady Dagher. Les gens résistent au changement de manière humaine. Ils sont confortables dans ce qu’ils sont, surtout qu’ils ont été éduqués, valorisés et promus dans ce système», explique-t-il, précisant qu’une police de concertation accompagne et agit avec les citoyens et les communautés en respectant leurs spécificités, tant individuelles que collectives.
Pour le directeur du SPAL, il est impensable que les policiers continuent de simplement répondre aux appels d’urgence et tenter d’arrêter des criminels. «Il ne faut pas voir le combattant du crime et la police de concertation comme des opposés; il faut les voir comme des complémentaires, mais dans un ratio différent», tente-t-il de faire comprendre à ses troupes et à certains membres de l’état-major qui sont totalement réfractaires à cette nouvelle approche. Au cœur de l’exploitation sexuelle Pour mieux illustrer le changement que Fady Dagher souhaite mettre en place, Charles Gervais a plongé au cœur de la lutte contre l’exploitation sexuelle sur le territoire de l’agglomération. Avec une vision moins répressive, le SPAL souhaite sortir du cadre policier imposé. L’objectif du projet Mobilis est d’aider les victimes d’exploitation sexuelle à sortir du milieu de la prostitution et, par le fait même, de pourvoir à leurs besoins, bien souvent financiers. «Idéalement, je veux tous les [proxénètes] pognés et qu’ils soient tous en prison, image Fady Dagher. Parfois, ça fonctionne très bien. Mais quand ça ne fonctionne pas, que devons-nous faire? On les laisse aller ou on fait quelque chose d’autre?» Le documentaire met d’ailleurs en lumière ces intervenants qui «étaient prêts au changement» , dont l’agente pivot Fanny Perras, le lieutenant-détective Martin Valiquette et l’agent relationniste et codéveloppeur du projet Mobilis Ghyslain Vallière. «Ce sont des personnes avec des têtes incroyables. Ils décrivent mieux ma vision que moi-même, alors ce sont des personnes que je veux mettre de l’avant», précise Fady Dagher. Résistance: la police face au mur sera lancé en grande première mondiale lors des Rendez-vous Québec Cinéma le 27 février, au Cineplex Odeon du Quartier Latin à Montréal. Le film sera ensuite disponible sur Crave, dès le 28 février. Un changement déjà entamé C’est avec le souhait de «léguer un héritage à la communauté» qu’il dessert que Fady Dagher a laissé s’immiscer le réalisateur Charles Gervais dans le quotidien du corps policier de Longueuil. «Je voulais mettre en images le changement que nous apportons, explique le directeur du SPAL. Je voulais immortaliser les gestes que nous posons pour amener ce changement.» Il souhaite d’ailleurs que la province et les autres corps policiers du Québec s’inspirent des projets mis en place par le SPAL pour entamer un changement de culture. Il estime que les projets comme Mobilis et Immersion sont des «approches innovantes et nécessaires pour la société». «Devenir directeur d’un corps de police, ce n’est pas important! C’est le début, ce n’est pas la fin, estime-t-il. Ce n’est pas parce que tu as reçu les trois petites fleurs sur les épaules que c’est réglé. Au contraire, tu as le poids et la responsabilité de mener les choses que tu veux mener. Si tu ne finis pas avec quelque chose que tu lègues à la communauté que tu dessers, c’est un peu éphémère.» Déjà, Fady Dagher a l’impression «d’être sur la bonne voie», alors que les maires de l’agglomération de Longueuil ont accepté de financer la police de concertation dès l’automne. «Ces policiers vont être dédiés à la communauté qu’ils desservent», raconte-t-il avec fierté. Jamais Fady Dagher n’aurait cru que le changement de culture ne s’entamerait aussi vite.