Opinion

Le contrat de coupe de gazon

le mercredi 02 juin 2021
Modifié à 9 h 57 min le 06 juin 2021
Par Hélène Gingras

hgingras@gravitemedia.com

Dame âgée de dos. (Photo: Depositphotos)

Vieillir, est-ce aussi devoir être dépossédé?

Quand j’étais adolescente, j’ai coupé le gazon à quelques reprises chez un couple âgé à Delson. Si je me rappelle bien, c’est ma mère qui m’avait trouvé ce contrat. Parce que monsieur était tombé malade.

Je me rappelle la maison exacte. Aussi qu’ils possédaient une tondeuse électrique. Avec laquelle je n’étais pas familière. Habituée à utiliser une tondeuse à essence à la maison.

Je n’aimais pas y tondre le gazon. J’en étais même stressée. Pas seulement parce que je craignais de passer sur le fil électrique de la tondeuse. Mais parce que le vieil homme me surveillait par les fenêtres. D’un air sévère. Parce que ma présence semblait lui déplaire. J’imaginais presque qu’il me jetait des mauvais sorts.

Avec mes yeux d’aujourd’hui, je comprends bien qu’il n’en était rien. Que c’est peut-être même avec le cœur en morceaux qu’il m’observait exécuter cette tâche qui lui avait toujours incombée. Qu’il se sentait probablement impuissant devant sa perte d’autonomie causée par le temps qui passe.

Depuis quelques jours, le regard de ce vieil homme ne me quitte plus. C’est le même que j’ai cru apercevoir chez la mère d’une amie que nous avons déménagée dans une résidence en fin de semaine. Ces yeux semblaient afficher la même tristesse. Le même deuil obligé.

Après plus de 50 ans, Noëlla a quitté à contrecœur la maison où elle a vécu presque toute sa vie. Là où elle et son mari ont élevé leurs filles. En raison de problèmes de santé qui l’affligent ces derniers mois. Et c’est avec la mort dans l’âme qu’elle s’est résolue à aller vivre dans une résidence.

Pendant le déménagement, je l’ai trouvée forte et courageuse. Digne aussi. Alors que sa maison était envahie par plein de gens qui se promenaient partout. Soit pour transporter des objets qu’elle conservera. Mais aussi pour faire le ménage de choses personnelles qui ne lui serviront plus jamais. Une balançoire vendue à un couple. Son échelle en bois donnée à un autre. Etc. Tout ce, sous ses yeux.

Je ne sais pas si nous aurions pu faire autrement. Différemment. Mais je l’ai trouvée forte d’assister à un tel spectacle sans broncher. Je sais qu’elle était d’accord. N’empêche, je suis restée avec cette image de quelqu’un qu’on dépossède de sa vie de toujours.

«Ainsi va la vie. Vous la possédez, elle vous possède, elle vous quitte.»

-Roch Carrier