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Les éoliennes aussi finissent par mourir

le mercredi 24 mars 2021
Modifié à 10 h 40 min le 23 juin 2021

On parle régulièrement de construire des parcs éoliens, mais jamais de les défaire. Pourtant, cette question va bien finir par se poser, dans la mesure où certains parcs de l’Est-du-Québec prennent de l’âge. Les ententes signées par Hydro-Québec avec les propriétaires sont d’une durée de 20 à 25 ans, et plusieurs vont arriver à échéance dans la prochaine décennie. À commencer par le tout premier parc éolien du Québec, Le Nordais (situé à Matane et Cap-Chat), inauguré en 1999.

Par Rémy Bourdillon - Le Mouton Noir - Initiative de journalisme 

Dans les contrats d’approvisionnement, il est prévu que les parcs soient démantelés à la fin de leur vie utile, et les sites remis en état. Avant d’ériger les éoliennes, les promoteurs doivent mettre de l’argent dans un fonds de prévoyance afin de financer les futures opérations de démantèlement: démonter les éoliennes, enlever les bases de béton, retirer les fils enterrés…

À Baie-des-Sables, le maire Denis Santerre fait lui-même partie du comité de démantèlement du parc éolien.

« C’est des réunions qui durent une quinzaine de minutes, maximum! » s’amuse-t-il.

Certes, l’échéance du contrat de ce parc bâti en 2006 est encore lointaine (2026), mais surtout, il n’est pas question de le démanteler, ni les autres d’ailleurs. L’objectif est plutôt de renouveler les contrats avec Hydro-Québec. La société d’État est également intéressée, à condition d’obtenir de meilleurs prix pour l’électricité. Son prochain appel d’offres, qui sera normalement lancé l’automne prochain pour 200 à 500 mégawatts (MW), permettra de déterminer un prix étalon pour le prolongement éventuel des contrats.

Les techniciens font des miracles

Jean-Louis Chaumel, qui est membre du Laboratoire de recherche en énergie éolienne de l’UQAR, salue le travail qui est fait sur le terrain pour garder les parcs éoliens en bon état.

« Les parcs de Matane et de Cap-Chat tournent encore alors que des parcs avec des éoliennes similaires ont déjà été démantelés en Europe. Dans les conditions climatiques canadiennes, c’est un exploit technique», dit-il.

Selon M. Chaumel, les techniciens locaux sont très bien formés et capables de remplacer n’importe quelle pièce en un temps record. De plus, le fait de signer des contrats à long terme avec Hydro-Québec encourage les propriétaires à maintenir les parcs en opération le plus longtemps possible.

Cependant, les éoliennes vieillissent et s’abîment, et doivent donc être remplacées en partie ou complètement. La tour d’acier et les composants électroniques peuvent être recyclés sans problème, ce qui n’est pas le cas des pales, qui ont elles aussi une espérance de vie de 20 à 25 ans. Construites à 75 % en fibre de verre, une matière facilement réparable mais difficilement récupérable, elles mesurent plus de 35 mètres et pèsent environ 6,5 tonnes – une hélice, composée de trois pales, pèse donc près de 20 tonnes.

Actuellement, elles sont envoyées dans le lieu d’enfouissement technique le plus proche, mais cela risque de rapidement poser problème: Synergie Matanie, l’organisme d’économie circulaire de la SADC de la région de Matane, estime que plus de 21 000 tonnes de pales seront désuètes d’ici 2041 dans l’Est-du-Québec. Pour l’ensemble de la planète, c’est 43 millions de tonnes d’ici 2050…

Le béton éolien, nouveau produit régional

C’est pourquoi Synergie Matanie travaille sur un projet de recyclage des pales d’éoliennes : il s’agit de les concasser et de les intégrer dans du béton. Lors d’une première étude de faisabilité, trois formes de concassage ont été testées: en poussière pour remplacer une partie du ciment, en petits morceaux pour remplacer la roche ou en fibres ressemblant à des cheveux pour améliorer la solidité du produit final.

« Ce qui a donné les meilleurs résultats, c’est les fibres. On a amélioré de 15 % la résistance en flexion du béton », explique le conseiller en économie circulaire à la SADC, Luc Massicotte.

Le scénario où la fibre de verre est réduite en poudre n’est toutefois pas totalement abandonné, puisque c’est lui qui aurait le plus d’impact en termes de lutte aux changements climatiques: il réduirait l’usage de ciment, gros émetteur de gaz à effet de serre. Dans une deuxième phase, qui s’étendra de 2021 à 2024, la recette de ce nouveau béton éolien sera affinée, et des démarches entreprises pour le faire reconnaître par l’industrie. La fibre de verre ne représente qu’environ 1,25 % du mélange, ce qui signifie qu’il faudra environ 400 tonnes de béton pour passer toute la fibre de verre contenue dans une seule pale d’éolienne.

Cela n’impressionne pas Luc Massicotte. « Après l’eau, le béton est la matière la plus utilisée sur la planète, affirme-t-il. On ne manque pas de béton pour mettre en valeur toutes ces pales! »

Localement, le nouveau matériau pourrait être utilisé dans l’ameublement urbain ou la réfection de trottoirs. Et cette recherche pourrait bénéficier à d’autres secteurs que l’éolien: de nombreuses embarcations nautiques sont en effet en fibre de verre, et on ne sait pas quoi en faire lorsqu’elles sont délaissées par leur propriétaire.

La fibre de verre a en effet la caractéristique de très bien résister à l’eau salée. C’est pourquoi un étudiant de l’Université de Sherbrooke, Pierre-Olivier Bédard, faisait une suggestion originale dans son mémoire de maîtrise sur le recyclage des pales d’éoliennes de l’Est-du-Québec: les utiliser comme récifs artificiels pour protéger les berges contre l’érosion côtière. L’idée reste à développer, mais cela permettrait de résoudre deux gros problèmes régionaux d’un seul coup…