Opinion

Lettre d'opinion d'un médecin inquiet de la pénurie d'infirmières

le vendredi 24 juillet 2020
Modifié à 14 h 44 min le 21 juillet 2020
Par Valérie Lessard

vlessard@gravitemedia.com

J’ai longtemps hésité à exprimer publiquement mon inquiétude face à une situation qui existe, malheureusement depuis trop longtemps, dans le milieu hospitalier et également dans ses centres connexes comme les CHSLD ou centres d’hébergement : la pénurie de personnel soignant. Je suis obstétricien-gynécologue depuis 1997 et œuvre à l’hôpital Anna Laberge depuis le début de ma pratique médicale.  Les conditions de travail ont changé avec le temps. Il y a plus de patients, les cas hospitalisés sont plus complexes, les listes d’attente en chirurgie sont plus longues,  beaucoup de patients sont hospitalisés en attente d’hébergement faute de place à l’extérieur de l’hôpital, ce qui limite le nombre de lits disponibles. Ceci a pour conséquence, entre autres, d’engorger l’urgence ou retarder des chirurgies. Je considère que la gestion quotidienne du travail que nous devons effectuer est de plus en plus difficile, mais dans les circonstances, j’estime que nous faisons tous du bon travail. Ce avec quoi je me sens malheureusement impuissant, c’est au niveau du manque chronique de personnel infirmier. La raison de ceci a toujours été et demeure un mystère pour moi. Est-ce qu’une question de gestion tout simplement ? Les différents chefs d’unités font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’on leur donne. J’ai toujours considéré que nous formions une équipe, les médecins avec le personnel infirmier, mais aussi avec tous les employés de l’hôpital. Chacun d’entre nous est essentiel au bon fonctionnement de l’équipe et c’est pourquoi je suis si inquiet. Nous avons vu l’impact de la pénurie de préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie de la COVID 19. Je crains un impact tout aussi grand dans le milieu hospitalier lors d’une probable deuxième vague. J’ai l’impression que le personnel infirmier est souvent victime des circonstances et qu’ils paient continuellement pour des décisions prises par des instances qui sont peut-être trop loin des milieux de soins. J’estime que le citron a été suffisamment pressé. Il y a le rehaussement qui ne convient pas à tous, encore trop de temps supplémentaire obligatoire, la difficulté à prendre les vacances désirées, etc. Conséquences : départ volontaire, maladie, retraite anticipée, réorientation de carrière. Certaines infirmières me mentionnent maintenant craindre d’entrer au travail, car elles appréhendent comment se passera leur quart de travail. Ajouter à ceci un recrutement fait par d’autres milieux de soin offrant de meilleures conditions, car oui ça semble possible ailleurs, et nous nous retrouvons avec une pénurie de personnel. Ceci pourrait avoir, entre autres, comme conséquences, d’allonger les listes d’attente en chirurgie ou de devoir planifier des corridors de transfert avec d’autres centres hospitaliers avec les risques que ça implique pour les patients.  Imaginez dans un contexte de pandémie. Aussi, il ne faudrait pas oublier qu’une pénurie de personnel comporte un danger d’avoir plus de maladies par épuisement, mais il y a aussi inévitablement un risque pour le patient, car tout doit être fait plus rapidement, le risque d’erreurs est inévitablement beaucoup plus grand. J’aimerais avoir l’impression que mon inquiétude est partagée par les instances administratives et les différentes directions de mon hôpital . J’aimerais bien entendre notre PDG, la DSI, le CA ou l’exécutif de mon CMDP. Il y a urgence, exprimez-vous et surtout, trouvons des solutions ensemble et j’espère, en consultant directement le personnel impliqué. Ceci s’applique à toutes les unités de l’hôpital. Cette situation ne doit pas être considérée comme acceptable. Ça nous concerne tous. Les infirmiers et infirmières font un travail colossal, ils le font très bien avec cœur et courage et ils gardent le sourire en plus, peu importe l’heure du jour. Prenons-en bien soin. Dr François Loiselle, obstétricien-gynécologue à l'hôpital Anna-Laberge, CISSSMO.