Opinion

Lettre ouverte : La carrière de La Prairie : futur îlot de fraîcheur ?

le mercredi 24 juillet 2019
Modifié à 10 h 25 min le 24 juillet 2019
Depuis l’annonce de l’arrêt des activités de Briques Meridian en 2017, les spéculations vont bon train sur la nouvelle vocation de la carrière de La Prairie.  Et qui dit spéculations, dit aussi spéculateurs. En effet, si certains souhaiteraient que ce lieu soit renaturalisé pour le bien-être de tous, d’autres voudraient le voir transformer en parc immobilier pour le bénéfice de quelques uns. Parmi ces autres, figure au premier plan l’actuel propriétaire des lieux qui l’a récemment acquis des mains de Briques Meridian, investissant 23 M$ dans une aventure pour le moins risquée. Risquée en effet, car aucune décision n’a encore été prise quant à la vocation  de ce gigantesque terrain de 12 354 202 pieds carrés. Et il n’appartient pas aux spéculateurs immobiliers, faut-il le rappeler, de dicter aux autorités l’affectation du territoire d’une municipalité. C’est aux citoyens par l’intermédiaire de leurs élus de le faire. Le maire de La Prairie l’a d’ailleurs maintes fois répété: «Nous souhaitons nous donner un temps de réflexion pour bien planifier l’usage futur de ce grand secteur, situé au cœur de La Prairie, afin d’assurer la pérennité de notre ville. Le projet sera élaboré avec les citoyens, dans le cadre d’une démarche participative» a déclaré M. Serres. Pour alimenter la réflexion qui s’amorce, nous aimerions attirer l’attention des citoyens et de l’administration municipale sur un aspect particulièrement important qui a été peu discuté jusqu’à maintenant mais qui pourrait être déterminant pour la pérennité de la ville. La carrière de La Prairie, cette immense dépression rocheuse, constitue dans son état actuel ce qu’on appelle un îlot de chaleur urbain. Cette expression désigne un secteur urbanisé ou industrialisé où les températures sont nettement plus élevées que dans les secteurs avoisinants. Ces zones de chaleur sont directement liées aux propriétés thermiques des surfaces. En effet, les nombreuses structures artificielles des milieux urbains  sont en grande partie constituées de matières minérales : asphalte, gravier, roche, béton, briques, etc.  Ces matières ont un faible pouvoir réfléchissant, elles tendent à absorber le rayonnement solaire et le transformer en énergie thermique. À l’opposé, la végétation et les plans d’eau permettent de transférer l’énergie du soleil en chaleur latente, réduisant du même coup la température ambiante, d’où l’impression de fraîcheur lorsqu’on se trouve en forêt ou aux abords d’un cours d’eau. Ainsi, la réduction progressive du couvert forestier conséquente à l’urbanisation et la multiplication des surfaces minérales  (routes, stationnement, toits goudronnés, murs de briques, carrières) sont les deux principaux facteurs qui favorisent l’émergence des îlots de chaleur. Par moment, ces zones peuvent devenir jusqu’à 12°C plus chaudes que les secteurs environnants. Le phénomène des îlots de chaleur urbain est très préoccupant en raison des multiples conséquences négatives sur la qualité de vie et la santé des personnes. La chaleur accablante peut engendrer de graves malaises particulièrement chez les enfants et les aînés et accroître les symptômes de maladies chroniques préexistantes. Ces effets sont d’autant plus importants lors des canicules estivales et on prévoit que ces périodes de chaleur accablante augmenteront en nombre et en intensité avec les changements climatiques. Rappelons que  les canicules de l’été 2018 sont responsables de près de 70 décès à Montréal. De nombreuses municipalités au Québec ont récemment déclaré l’état d’urgence climatique, reconnaissant ainsi la nécessité de prendre des mesures à la fois musclées et exceptionnelles pour lutter contre les changements climatiques et assurer la résilience de leurs concitoyens. Or, la question des îlots de chaleur urbains est au centre des priorités d’actions à réaliser au niveau municipal en matière d’adaptation aux changements climatiques. La mairesse de Paris a ainsi entrepris de «débitumiser» certains secteurs de la ville Lumière, en créant notamment quatre forêts urbaines pour améliorer le cadre de vie des Parisiens et accroître leur résilience dans le contexte de l’urgence climatique. Le 3 décembre 2018, la ville de La Prairie emboîtait le pas en appuyant la Déclaration citoyenne universelle d'urgence climatique. Cette prise de conscience de l’impact majeur du dérèglement climatique sur nos vies et celles de nos enfants devrait nous amener tous, élus comme citoyens, à mettre en perspective certaines des préoccupations qui conditionnent habituellement les décisions sur la scène municipale, incluant la sempiternelle question du compte de taxes. Il faut se le dire : le «business as usual» ne convient pas aux situations de crise. Dans le dossier de la Carrière, les élus de La Prairie seraient donc parfaitement justifiés d’invoquer l’état d’urgence climatique pour décider de renaturaliser ce grand territoire, en y aménageant des boisés, des jardins et des milieux humides et en mettant en valeur le lac se trouvant en son centre. Cette décision courageuse permettrait de transformer un important îlot de chaleur de la banlieue sud de Montréal en un îlot de fraîcheur, et ce pour le bénéfice de tous les citoyens de La Prairie et la pérennité de la ville.   Andrée  Gendron et Alain Branchaud Biologistes et citoyens de La Prairie