Opinion

Quelle sera la réplique des humoristes ?

le mercredi 03 août 2016
Modifié à 0 h 00 min le 03 août 2016

«Je suis peut-être un être humain exécrable, mais si j’étais en scène à Juste pour rire cette année, je commencerais mon numéro avec la blague qui a valu une amende à Mike Ward.»

C’est ce que m’écrit un humoriste de Colombie-Britannique à qui j’ai relayé les détails du jugement remporté contre Ward par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) au nom de Jérémy Gabriel – arrêtons de l’appeler «Petit Jérémy», ce n’est plus un enfant.

Mon collègue n’a pas tort. Pas quant à son statut d’être humain, mais en ce qui concerne la marche à suivre maintenant qu’un triste précédent a été ravivé en matière de libre expression au Canada.

Oh, ce n’est pas la première fois qu’on blâme des artistes pour les sévices que des brutes ont infligés à une tierce personne. Les films Clockwork Orange et Natural Born Killers sont déjà passés par là, tout comme le chanteur Marilyn Manson et un grand nombre de rappeurs qu’on a montrés du doigt quand il s’est avéré qu’un tueur aimait leur musique. Ça, c’est si fréquent qu’on se demande pourquoi les boulangeries ne sont pas honnies quand il appert qu’un criminel est friand de petits pains au chocolat.

Non, l’affaire que le duel Gabriel-Ward ramène sous les projecteurs, c’est la charge menée en 1979 contre le caricaturiste du Victoria Times, Robert Bierman, par le ministre provincial des Ressources humaines, William Vander Zalm. Le dessinateur ayant critiqué ses politiques en le dépeignant en train d’arracher les ailes d’une mouche, Vander Zalm avait intenté un procès au journal, et avait même remporté sa bataille en première instance.

Mais c’était sans tenir compte de la solidarité des caricaturistes d’un océan à l’autre. En effet, ce groupe tricoté serré avait alors fait de cette modeste échauffourée une cause d’importance nationale en publiant, coup après coup, des versions autrement plus acerbes du dessin original. Et ultimement, la Cour d’appel avait renversé le jugement.

Voilà la trajectoire qui vient de s’amorcer, pour peu que les humoristes du pays en fassent autant au cours des semaines qui viennent. Mais disons-le clairement: ce n’est pas Jérémy Gabriel qui devrait en faire les frais, même s’il accepte, à l’âge adulte, d’être le porte-étendard de cette cause. Le problème est bien plus imputable à la CDPDJ qui devait bien se douter du risque d’opprobre qu’elle faisait courir au jeune chanteur en se servant de lui comme fer de lance de sa campagne anti-humour.

Aux États-Unis, un nom a même été donné aux conséquences désastreuses de telles représailles pour la personne qui les initie. On appelle ça «l’effet Streisand», en l’honneur d’une poursuite que la diva avait intenté en 2003 afin d’inhiber la diffusion d’un cliché de sa propriété – cela n’avait fait qu’attirer beaucoup d’attention sur la photo en question.

Espérons pour Gabriel qu’un «effet Jérémy» ne le fera pas passer à l’histoire de cette façon. Ce serait bien plus cruel que ce qu’on reproche à Mike Ward de lui avait fait subir.

Charles Montpetit,

Auteur de Liberté d’expression : Guide d’utilisation

Montréal