Opinion

Quelques termes inquiétants à utiliser avec précaution

le jeudi 21 juillet 2016
Modifié à 0 h 00 min le 21 juillet 2016

Plusieurs situations de l’actualité récente nous amènent à clarifier certains propos tenus en lien avec la question des fausses allégations d’agression sexuelle ainsi que les notions entourant l’acquittement.

Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) Châteauguay, qui travaille à aider, prévenir et lutter contre les agressions à caractère sexuel, ainsi qu’ESPACE Châteauguay, qui travaille à prévenir toutes les formes de violence faites aux enfants âgées de 3 à 12 ans, se rallient afin d’offrir une position claire quant à l’importance de croire les victimes d’agressions sexuelles ainsi que démystifier certains propos inquiétants tenus dans les médias.

Certains cas parus dans l’actualité dans les dernières semaines ont contribué à renforcer un mythe contre lequel nos groupes s’efforcent de lutter: celui selon lequel la pratique des fausses allégations d’agressions à caractère sexuel est une pratique courante et répandue. C’est faux! Il est nécessaire ici de définir l’expression «fausses allégations». Une fausse allégation se définit par un mensonge délibéré par une présumée victime accusant une personne d’un crime qui ne s’est pas produit. Bref, lorsqu’on parle de fausses allégations ou de fausses accusations, on sous-entend qu’il y a eu mensonge dans la divulgation faite par la, le ou les présumés victimes et que les événements ne se sont donc pas produits. Cela nous amène à clarifier les notions entourant l’acquittement. L’acquittement d’un accusé ne veut pas dire que les événements ne se sont jamais produits, ou encore que les victimes mentent ou inventent les faits dénoncés. L’acquittement veut dire qu’il est impossible de prouver les faits hors de tout doute raisonnable, par exemple par manque de preuves ou en absence de témoin, ce qui est souvent le cas dans les situations d’agressions sexuelles. Il s’agit ici d’une nuance très importante. Ainsi, lorsqu’on apprend que l’accusé a été acquitté (ou «blanchi»), il est évident que l’on ne peut pas conclure que celui-ci est de facto innocenté. Ultimement, ce n’est pas parce que la cour ne condamne pas l’agresseur qu’il n’y a pas eu d’agression sexuelle.

Par ailleurs, sur le nombre total de plaintes logées par des enfants, 94% ont été considérées comme fondées par la police. Il faut toujours prendre au sérieux les affirmations d’un enfant qui dit avoir été touché ou agressé sexuellement, car il est rare qu’un jeune mente à ce sujet. L’enfant a surtout besoin d’entendre qu’on est fier qu’il ait dévoilé et qu’on est triste qu’un tel événement lui soit arrivé.

Notre responsabilité sociale et collective à l’endroit des victimes d’agressions sexuelles…

On sait que les victimes peuvent attendre plusieurs années avant de briser le silence, et ce, pour plusieurs raisons: sentiment de culpabilité, peur de ne pas être crue, peur des démarches judiciaires, peur de perturber la vie de leurs proches, honte, etc. 95% des cas d’agressions sexuelles ne sont pas dénoncés.

N’est-ce pas suffisant pour se dire, comme société, qu’il est temps de soutenir les victimes à le faire? Devons-nous rappeler qu’une agression sexuelle constitue un crime contre la personne? Un crime grave, qu’il soit commis à l’endroit d’un(e) enfant, d’un(e) adolescent(e), d’un homme ou d’une femme. Il s’agit en fait du crime contre la personne le moins dénoncé. Pourquoi? Il est clair que les messages sociaux qui sont véhiculés à l’endroit des victimes dans les cas d’acquittement y ont un rôle à jouer et contribuent à maintenir ce faible taux de dénonciation. Ce n’est pas une surprise, l’enquête de Statistique Canada révèle que les victimes ont peu confiance envers le système de justice. On n’a qu’à penser aux cas récents qui ont été médiatisés et dans lesquels la crédibilité des victimes a été attaquée. Dans lesquels ont met de l’avant le «blanchiment» de l’accusé en sous-entendant que les agressions ne se sont jamais produites, et donc, en invalidant les victimes. En leur collant l’étiquette de menteuses. En rejetant sur elles le blâme et la honte qui appartiennent à l’agresseur. On peut aussi penser aux cas qui mettent l’accent sur les conséquences de la plainte sur les individus dits «faussement/injustement accusés» et, encore une fois faut-il le dire, en sous-entendant que les agressions n’ont jamais eu lieu! Là sont tous des exemples de messages qui sont dommageables pour les victimes, et plus largement aussi pour la lutte sociale contre les agressions à caractère sexuel.

Nous avons tous et toutes une responsabilité sociale lorsque nous prenons parole publiquement sur la question. Nos organismes déplorent l’utilisation de ces messages sociaux qui contribuent à entretenir, dans notre image collective, des préjugés défavorables à l’endroit des victimes d’agressions sexuelles et favorables à l’endroit des personnes qui se disent faussement accusées. À l’inverse, nous interpellons les individus qui prennent parole publiquement sur le sujet à utiliser cette plateforme qui vient avec des pouvoirs et des responsabilités, de manière à lutter contre les agressions sexuelles et à épauler les victimes. Celles-ci ont surtout besoin d’entendre que, comme collectivité, comme société, on est fier qu’elles aient dévoilé et on trouve inacceptable qu’un tel événement leur soit arrivé! Plus les situations d’agression sont dénoncées dans les médias, moins les autres victimes se sentent seules. Ces manchettes devraient être utilisées afin d’en encourager d’autres à dénoncer et à aller chercher de l’aide. Toute médiatisation de cas d’agressions sexuelles devrait servir à protéger d’autres victimes potentielles plutôt qu’à revictimiser les victimes. Un(e) enfant, un(e) adolescent(e) ou une personne adulte victime d’une agression sexuelle n’est pas responsable du comportement de l’agresseur.

Nous souhaitons réitérer notre soutien aux victimes d’agressions sexuelles et notre appui à la campagne provinciale #OnVousCroit qui milite pour faire valoir l’importance d’être cru(e)s.

Jade Mathieu et Julie Mailhot

intervenantes au CALACS Châteauguay et à ESPACE Châteauguay