Opinion

Entre patate et citron pressé

le jeudi 10 novembre 2016
Modifié à 0 h 00 min le 10 novembre 2016

Voici le billet du 9 novembre d'Hélène Gingras.

Quel est votre niveau d’énergie en soirée?  

Certains soirs, je rentre brûlée du bureau. Complètement vidée. Il suffit que je sois seule pour que je mange des restes devant la télé. Et que je m'allonge ensuite. De tout mon long. Une vraie couch patato, comme disent les anglophones.

Si je n'ai pas d'activité au programme, je peux pratiquement passer la soirée sans bouger de là. Jusqu'à ce que le temps soit venu que j'aille au lit. Parce que je n'ai plus aucune énergie. Y compris pour aller porter mon assiette sale dans le lave-vaisselle. Pour ramasser ce qui traîne sur le comptoir. Pour aller à la pharmacie ou à la poste à pied. Je dois souvent me donner un coup de pied au derrière pour briser ce cercle d’inertie.  

Le vendredi soir, je ne rêve plus d'aller au cinéma. Ni d’aller magasiner ou de manger au restaurant. Je préfère de loin relaxer à la maison. Quand c'est possible. Pour décompresser de ma semaine.

J'ai du mal à imaginer qu'il y a 15 ou 20 ans, je me préparais à sortir au lieu d'aller au lit vers 22h. Je revois encore la tête de ma mère quand ça m'arrivait. Avec son air dépassé. Qui trouvait que c'était inconcevable. Avec le recul aujourd'hui, j'imagine davantage qu'elle devait se demander où je trouvais cette énergie.

Recharger ma batterie prenait pas mal moins de temps. C'est vrai; je vieillis. Je ne suis pas à plaindre, vous direz, je n'ai pas d'enfant. Je l'avoue, j'y pense souvent. J'imagine qu'on s'y fait, qu'on accepte son sort.

N'empêche. Il me semble que notre fatigue à tous est plus grande. Tant on court de tous bords tous côtés. Tant la pression de performer est omniprésente. En tout temps et partout. Au travail. À la maison. Dans nos loisirs. Dans nos vies de parents. Nos couples.

On travaille à coups d'objectifs de performance au boulot, de plan d'entraînement au gym, de programme d'intervention dans les écoles. On nous demande constamment de faire plus avoir moins.

Je connais peu de gens qui passent leur week-end sans jeter un œil à leurs courriels ou à répondre à quelqu'un. 

On peut bien avoir le sentiment que l'élastique est étiré au maximum.

Patate le soir, citron pressé le jour. Ainsi va parfois ma vie.