Opinion

À propos de la loi 62 sur la «neutralité religieuse»

le mercredi 17 janvier 2018
Modifié à 11 h 44 min le 17 janvier 2018
Par Hélène Gingras

helene_gingras@gravitemedia.com

Je m’appelle Islam. Évidemment, je suis musulman. Pourtant, je suis né ici, j’ai grandi ici, j’ai complété mes études ici, je travaille ici, j’ai eu mes enfants ici. Je n’ai jamais eu à exprimer mon mécontentement face à une décision politique auparavant. Par contre, lorsqu’on s’acharne à dérober l’expression de soi et cibler une minorité, surtout lorsque cette décision a des ramifications pour ma famille (mon épouse porte le niqab), je ne peux retenir mon silence. Mon désarroi est face à la loi 62, celle qui cible des femmes, musulmanes portant le niqab ou le chador. D’abord, je suis un produit du système d’éducation québécois et les valeurs promues sont de grande qualité; des attitudes de respect, d’ouverture, de tolérance et de solidarité. Même aujourd’hui, mes enfants fréquentent une école publique et les valeurs véhiculées demeurent les mêmes. Voici un extrait de texte que mon garçon avait à lire: «Grâce aux différences, il se crée des choses. Il se crée du mouvement, de l’énergie. Chez les humains aussi. Grâce aux différences entre humains, on crée, on invente, on apprend, on        s’améliore.» Je suis ravi que mes garçons apprennent ces valeurs à l’école, mais je suis bouche bée que ce soit les enfants qui fassent la leçon aux adultes dans la société québécoise. Le plus aberrant de cette loi est que le gouvernement soutient que cette loi est basée sur l’égalité. Comment affirmer cela lorsqu’on exclut une partie de la population? L’égalité est basée sur le rapport entre individus qui sont égaux en droits et obligations. Le gouvernement fait un excellent travail sur la facette des obligations et interdictions, mais omet d’inclure les droits. Que diriez-vous si un politicien déclarait qu’une  personne d’orientation homosexuelle n’avait pas le droit de fréquenter l’école? C’est impensable! Pourtant, ce sont les ramifications de cette loi pour certaines musulmanes. Viser quelques centaines de femmes se résume à être une cible facile; un risque calculé pour courailler certains votes. Selon Stéphanie Vallée, ministre de la Justice, «une majorité de québécois appuient cette loi…» Depuis quand on se base sur la majorité pour protéger les droits et libertés de minorités? C’est normalement le contraire qui est logique. Je suggère à Mme Vallée (et à tous) de lire la charte des droits et libertés de la personne. Là, j’entends les Dutrizac, les Benhabib et Lamoureux de ce monde intervenir pour dire que ces femmes sont marginalisées par leur époux et que cette loi va les libérer… Dans une société libre, ces femmes décident volontairement de porter ce type d’habillement, elles le font par choix et conviction religieuse; d’où elles seront contraintes à choisir entre leur foi et l’inclusion, beau dilemme! Un autre argument à la mode: «Oui, mais si on était dans d’autres pays, on devrait se conformer.». Mais quel enfantillage! On dirait deux petites filles qui s’accusent d’avoir commencée. Ce n’est pas parce qu’une chose est faite ailleurs que ça la rend bien. Où est le standard moral du Québec? Ce n’est pas la majorité qui est pour le niqab ou le chador, mais être pour interdire qu’une femme ait le choix va à l’encontre des droits intrinsèques de la personne ainsi que le principe de tolérance. Mon vécu m’a permis de constater que la tolérance ça s’apprend et que l’intolérance, ça se propage. La tolérance est fondée sur le respect des différences, tandis que l’intolérance repose sur la crainte et la division. La tolérance émane d’une confiance en soi, être capable de supporter ce qu’on désapprouverait machinalement, c’est un sens moral abstint de préjudice. L’intolérance est provoquée par des préjugés, des idées toutes faites, une peur du différent; du «nous» versus le «eux». Transformer cela en une attitude d’hostilité par le biais d’une loi pour dénigrer une minorité se caractérise par une atteinte aux droits et libertés de la personne. De plus, on ne parle pas d’acceptation, car l’acceptation n’est pas donnée, mais la tolérance est accessible à tous. Nos origines nous définissent; nos ancêtres, notre patrimoine, notre façon de vivre nous sont importants. C’est pour cela qu’on conserve nos noms, nos langues et nos croyances; ça nous identifie. Ce sont nos idées qui nous individualisent, qui rendent la société multiethnique, diverse et divertissante, sur le plan culturel, moral et festif. Cette riche diversité a, et doit avoir sa place au Québec. J’espère que cette lettre a permis de rallumer l’esprit de tolérance qui existe depuis fort longtemps au Québec, et que tous en ressortent grandis. Islam Touni Saint-Constant