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Retrouver son autonomie par les mots

le mercredi 16 novembre 2016
Modifié à 0 h 00 min le 16 novembre 2016

Quand Marilou, Josée, Robert et les autres participants ont joint l’organisme d’alphabétisation La Clé des mots à Saint-Constant, ils ont constaté qu’apprendre à écrire, parler et lire le français pouvait leur apporter bien plus. Ils ont retrouvé une qualité de vie.

À La Clé des mots, toutes les raisons sont bonnes pour communiquer en français. Personne ou presque n’y est refusé. Le seul critère d’admission demeure la motivation.

«Ils sont tous là parce qu’ils le veulent, explique Céline Brière, directrice générale de l’organisme. Personne ne les oblige à venir ici. Ils savent qu’ils n’ont pas à avoir tel ou tel résultat à la fin. Ils avancent à leur rythme et les professeurs adaptent leurs cours selon les progrès des élèves.»

Robert dit s’être inscrit aux cours de l’organisme situé rue Saint-Pierre parce qu’il lui était impossible de suivre les réseaux sociaux et les appareils technologiques.

«Je commence à être un dinosaure! lance-t-il en riant. Je voulais perfectionner mon français. Je me suis rendu compte que les jeunes écrivent vite et j’ai de la misère à suivre tout ça. C’est difficile aussi si tu ne lis pas vite les sous-titres à la télévision.»

La Clé des Mots est un centre d’éducation populaire qui vise la réussite éducative et non scolaire, en ce sens que les participants n’apprennent pas dans le cadre rigide ni stricte de l’école. Les professeurs demandent de venir à un minimum de deux ateliers par semaine. Ils accueillent des élèves de tous âges. Des frais d’inscription de 20$ s’appliquent seulement.

«La réussite scolaire, ce n’est que pédagogique. La réussite éducative, c’est d’aider les gens à se développer et à améliorer leurs conditions de vie et à se débrouiller dans la vie de tous les jours», explique Mme Brière.

Se réconcilier avec l’école

Parmi la quarantaine de membres que l’organisme accueille par année, beaucoup ont perdu confiance en leurs aptitudes à l’école. L’intimidation en classe en est l’une des plus grandes causes.

«Nous voulons les réconcilier avec le système scolaire parce qu’ils ont vécu toutes sortes de choses. Environ 95% de notre travail, c’est de la valorisation, fait savoir Mme Brière. Ils ne voient plus leurs qualités et leurs forces quand ils arrivent ici.»

Marilou est une de celles qui a vécu cette situation. Son agente du CLSC lui a recommandé de se joindre à l’organisme.

«Je me faisais niaiser à l’école. Je me faisais intimidée et on me criait de mongole, raconte-t-elle. Ici, les professeurs ne se fâchent jamais contre nous. Ils sont patients et toujours de bonne humeur.»

Désormais en couple, elle peut effectuer différentes tâches comme écrire sa liste d’épicerie.

«Je peux faire des listes en utilisant les bons et les bonnes syllabes. Je suis aussi moins gênée et plus ouverte.»

Loin du jugement

Au fil des cours, des amitiés se tissent entre les participants. Le jugement n’a pas sa place dans les classes de cours de l’organisme.

«C’est comme une famille ici. Personne ne rit des autres. Si quelqu’un a de la difficulté, on peut s’entraider», affirme Daniel, un des élèves.

Il en va aussi des professeurs, indique Mme Brière. Elle affirme avoir refusé des candidatures de gens qui avaient plus de 30 ans d’expérience parce qu’ils ne cadraient pas avec la philosophie de La Clé des Mots.

«C’est la personne qui est importante, rappelle-t-elle. J’ai parfois choisi du personnel qui n’avait aucune formation en enseignement, mais qui avait un côté humanitaire très développé. Mes élèves ont fait plus de progrès avec eux.»

«J’ai appris plus ici qu’au primaire, ajoute Josée, une autre élève. Mon français était zéro. Ici, les professeurs sont plus patients avec nous qu’à l’époque. Au début, j’étais dans ma bulle et j’ai appris à communiquer avec les autres.»

Il demeure encore difficile de quantifier la réussite éducative – «On ne peut pas mettre de pourcentage sur le fait qu’une personne puisse se débrouiller dans sa vie», rappelle Mme Brière.

Mais la directrice générale et les professeurs remarquent des améliorations chaque semaine chez les participants, principalement sur le plan social.  

«Tu as beau avoir de super belles notes en français, si tu n’as pas d’estime, tu n’iras pas loin dans ta vie, mentionne-t-elle. Peut-être que d’un point de vue pédagogique, ils n’avancent pas rapidement, mais sur le plan personnel, tu vois les changements.»

19 %

Au Québec, une personne sur cinq, soit 19 % de la population éprouve de grandes ou de très grandes difficultés à lire et à écrire. De ce nombre, la moitié est âgée de 46 à 65 ans et le tiers est formé de personnes immigrantes.

34,3 %

Une personne sur trois, soit 34,3 %, peut se retrouver dans une situation où sa lecture doit être facilitée ou non complexe.

4,1 %

Au Québec, 4,1 % des gens n’atteignent pas le niveau 1 d’aptitudes à comprendre et à utiliser l’information écrite du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes

Comment reconnaître une personne analphabète ?

-Elle choisit de lire un document à la maison sous prétexte qu’elle n’a pas ses lunettes;

-Elle éprouve de la difficulté à prononcer correctement les mots de plus de trois syllabes;

-Elle a un vocabulaire restreint et a de la difficulté à exprimer clairement une idée simple;

-Elle préfère mémoriser des informations plutôt que de les écrire.

Une personne analphabète avoue rarement qu’elle éprouve des difficultés à lire et écrire. Elle utilise généralement plusieurs astuces pour masquer ce problème. La Fondation pour l’alphabétisation recommande d’utiliser un vocabulaire simple et des phrases courtes en présence d’une personne analphabète. Le plus important est de ne pas s’adresser à elle comme un enfant afin d’établir un climat de confiance.

(Source: Fondation pour l’alphabétisation du Québec)

Les nouveaux arrivants s’intègrent aussi

Céline Brière, directrice générale de l’organisme d’alphabétisation La Clé des mots à Saint-Constant, a remarqué que plusieurs nouveaux arrivants s’inscrivent aux cours depuis les dernières années.

Irina est arrivée au Québec il y a trois ans. Elle a joint l’organisme pour améliorer ses conditions de travail.

«Ça m’a fait grandir, ça m’a ouvert des portes. Au travail, je dois expliquer les tâches aux autres. Je trouvais ça gênant de le faire parce qu’ils parlaient mieux que moi», raconte-t-elle.

Elle s’est aussi mise à la lecture plus fréquemment.

«Quand je prenais un livre, je trouvais ça difficile, indique-t-elle. Je le commençais, mais je ne le terminais pas. Je lisais trois ou quatre pages par jour. Aujourd’hui, je peux lire 30 pages par jour et ça se passe bien. Je propose même des lectures à mon entourage.»

De son côté, Domingua est arrivé d’Amérique du Sud il y a deux mois. Elle a constaté que La Clé des mots est un des seuls organismes à proximité dans la région qui offre ce service.

«Pour moi, c’est très important le travail qui est fait ça ici. J’apprends à écrire et à parler. Doreen, ma professeure, est patiente. Pour moi, c’est très important pour communiquer avec les amis et pour tout dans la vie», dit celle qui bénéficie de l’aide d’autres élèves chiliens.

Les classes comptent d’ailleurs une forte représentation latine.